Lundi 11 mai 1 11 /05 /Mai 16:36
Tu sais, il faisait très froid ce soir là. Un vent de noroît avec crachin. Je suis arrivé un peu tard, alors j'ai pris la place qui restait au bout de la galerie. Enfin, même si j'étais arrivé plus tôt, ils m'y auraient envoyé. Allongés les uns contre les autres nos odeurs se mêlent et finissent par être les mêmes pour tous, tabac froid, pisse, bière et ce parfum acide de vinaigre qui se développe par macération du corps sale dans des fringues sales. Ah oui, et l'odeur des chiens, particulièrement ce soir là, où ils étaient mouillés. Je n'ai pas pu rester là, le vent me glaçait et le crachin tourbillonnant trempait mes couvertures, même le chien gémissait un peu.
J'ai pris tout mon barda et on est parti, le chien et moi, à la recherche d'un coin plus abrité. Je savais que ce n'était pas forcément prudent, d'y être seul.
J'ai trouvé une entrée d'immeuble, pas très grande mais protégée du vent. Je savais que j'allais me faire virer, je gênais partiellement le passage. Je me suis quand même endormi un peu.
J'ai été réveillé par un mec qui à trébuché sur moi. Il a dit « excuse moi », et à posé sa main sur mon épaule. Il n'avait pas l'air hostile. Il est resté à regarder le tas de loques que nous faisions le chien et moi. « Suis moi » je ne bougeais pas alors il l'a redit « suis moi, viens avec moi. Tu vas dormir au chaud ». « Le chien ? » j'ai dit. « Amène le avec toi ».
J'ai ramassé mon bordel et je l'ai suivi. Les étages il les montait lentement, je voyais bien qu'il était fatigué.
En entrant dans l'appartement, on sentait tout de suite que c'était un appartement de pauvre, meublé de bric et de broc. Le chien s'est tout de suite couché dans la cuisine contre le radiateur.
Il m'a donné deux serviettes de toilette, une brosse à dent et puis un slip et un tee-shirt blancs . « le savon est sur la baignoire. Enlève ce que tu as dans tes poches, je vais faire une lessive de tes habits, donne moi ce que tu as d'autre à laver » dit-il. « prends ton temps, je démarre la lessive et je vais faire des spaghetti ». Dans l'eau chaude je me sentais revivre, c'était très différent des douches, chaudes aussi, mais si rapidement prises dans les foyers d'une nuit. Il n'avait pas vraiment un choix de shampoing mais seulement un savon de Marseille. J'ai toujours aimé cette odeur simple mais associée pour moi au propre de mon corps et de mes vêtements.
Lorsque vêtu du slip et du tricot blanc je me suis avancé dans la cuisine, il est allé me chercher une sortie de bain et de vieilles babouches, souvenirs d'un ancien voyage. Les pâtes étaient prêtes et nous nous sommes assis face à face devant la table au formica rouge. Il s'est encore excusé « je n'avais que ça ce soir, mais il reste quand même des pommes ».
Il mangeait, les yeux dans son assiette, c'est à peine si nos regards se croisaient, lorsqu'il me demandait de me resservir, ou de reprendre du vin, si j'avais soif. Moi, je le regardais. Il avait des gestes lents comme peuvent en avoir certains paysans, les mains un peu crevassées des maçons, et un beau visage ridé de celui qui a beaucoup vécu dehors. Il devait avoir la cinquantaine, peut être plus. Il avait aussi, autour des yeux, ces rides étoilées de ceux qui ont connu la joie et le rire. Sûrement qu'elles devaient remonter à loin, ces rides là. Après dîner on a desservi. J'ai fait la vaisselle. Et il m'a conduit à une petite chambre d'appoint. « Le lit est bon, tu as les draps et tu mets autant de couvertures que tu veux pour avoir chaud. ».
Je me suis couché. Je l'ai entendu à la salle de bain et aller à sa chambre.
Je n'arrivais à dormir. Nous avions si peu parlé, j'aurais aimé qu'il m'entende, et aussi de l'entendre, lui. Je voyais bien quel taiseux il était. J'ai tourné, retourné dans le lit et j'ai fini par me lever. Je suis allé gratter à sa porte. « entre » a-t-il dit.  Il ne dormait pas, il lisait une vieille revue, qui me faisait penser à « la vie du rail » que je lisais autrefois chez mon oncle. Je me sentais idiot, en slip, là devant lui. Et puis c'est venu, je me suis entendu le dire.. « est-ce que tu peux me prendre dans tes bras ? ». Il m'a regardé étonné, à ouvert ses draps et m'a dit « Oui, viens ». Je suis venu. J'ai posé ma tête sur sa poitrine aux poils blancs. Ses bras m'ont serré contre lui. Je me suis mis à pleurer silencieusement. Il s'en aperçut et me dit en me berçant un peu : « ça va, mon bébé ça va passer ». C'est peut être cette tendresse qu'il exprimait, qu'il m'appelle -mon bébé-, je suis parti à sangloter. Vraiment à sangloter avec des hoquets et des larmes qui coulaient comme ruisseau. Mon père, je ne l'avais pas assez connu, avant que ma mère ne le quitte avec un connard qui nous a emmené si loin de lui. Mais « bébé », je me souviens qu'il le disait à mon oreille jusqu'à mes dix ans quand nous nous sommes perdus.
Je crois que lui aussi pleurait, il laissait suinter ses vieilles blessures. Pour sécher mes larmes il m'embrassait les yeux, les joues, parfois les lèvres. C'est moi, moi seul qui ai pris sa bouche et l'ai embrassé. Je voulais que la tendresse, elle irradie là encore et plus intense encore. Sûrement, il a été surpris mais il m'a rendu ce baiser. C'est devenu comme le dernier baiser du monde, un baiser désespéré et passionné, qui ne pouvait s'interrompre.


Nous étions soudés ensemble, nos bras, presque, étouffaient nos respirations, nos bassins étaient collés et nos sexes rigides joints. Ce baiser abandonnait de l'un à l'autre le plus intime que nous puissions offrir, porteur de tout ce que nous n'avions pas pu dire, pas su dire. Probablement nous avons du jouir presque ensemble dans un murmure.
Je me suis endormi dans ses bras. A-t-il dormi, lui ? Au matin, il m'a réveillé d'un baiser sur le front. Il était déjà levé et avait plié mon linge propre qui avait séché sur les radiateurs. Nous prîmes le petit déjeuner en silence aussi. Un silence débordant d'émotion, qu'une parole aurait pu faire jaillir. Séparation sur le palier, sourires forcés et yeux rouges et humides.
Marc
Par Marc
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